Imprimer le texte
Le Kaokoland (octobre 2002)
Aurora s’empare de quelques pierres et les dispose en cercle dans le sable. Ensuite, elle ramasse quelques brindilles qu’elle plante dans le cercle et semble insister sur l’espace entre deux pierres en les séparant de deux traits.

 
- Mais qu’essaye t’elle de nous expliquer?
 

Aurora doit avoir une quinzaine d’années. Vêtue d’un pagne en peau de vache et de quelques bijoux artisanaux, elle a, selon la coutume de sa tribu - les Himbas, le corps et les cheveux couverts d’un savant mélange de beurre et de terre conférant, mis à part une odeur prononcée, une magnifique couleur orangée à la peau.

 

La jeune Himba vit dans une petite hutte, faite de terre et de paille, non loin de notre tente. Il doit être 8 ou 9 heures du matin. Daniela et moi venons de terminer notre café-porridge matinal préparé sur notre petit réchaud. Cela fait plusieurs heures que le soleil et Aurora sont levés, la chaleur dans la tente était devenue insoutenable, et nous voila tous trois, assis à l’ombre d’un arbre, en pleine ‘discussion’.

 

- Ce cercle dans le sable... Namibia?... The village?...

 

A présent Aurora se couvre les yeux d’une main.

 

- To sleep?... The night?...

 

C’est dans ces moments là, alors que la différence de culture éveille tant notre curiosité, que l’on constate combien il est frustrant de ne pas partager une même langue. Et personne dans le village ne parle anglais...

Aurora persévère, les mots se succèdent, lorsque, soudain, Daniela repère un mot que l’on comprend, un mot commun dans toutes les langues... ‘Alléluia’. 

 

Mais bien sur! Nous sommes dimanche. Aurora veut nous inviter à l’église.

 

- Amen?

- Amen!!

 

Cette fois c’est bon.

 

Accompagnés de quelques Nimba, nous nous mettons en route vers l’église. La saison sèche à depuis longtemps eu raison de toutes les rivières de la région. Les petits arbres et buissons qui tapissent la vallée semblent chercher l’eau profondément dans le sable tandis que, ça et là, quelques huttes défendent vaillamment leur petit coin d’ombre sous un soleil écrasant.

Une vingtaine de minutes plus tard, nous arrivons au centre vital du village. Quatre ou cinq puits, creusés dans le sable, trouvent l’eau à 2 ou 3 mètres de profondeur. C’est ici que le village vient abreuver ses troupeaux. Des centaines de chèvres et de vaches. Le peuple himba est un peuple essentiellement nomade, emmenant leurs troupeaux au gré des saisons sèches ou de pluie.

Assis à l’ombre de quelques rochers, nous observons le va et vient des troupeaux. A l’aide de pierres et de bâtons, hommes et femmes distribuent le bétail aux différents puits. Trois vaches par ici, vingt chèvres par-là... Je me demande comment ils font pour s’y retrouver.

En notre compagnie, 5 ou 6 hommes regardent le temps passer. L’un d’eux tente d’obtenir une meilleure réception sur sa petite radio à ondes courtes tandis qu’un autre prépare le repas de mi-journée. Repas auquel, pour notre malheur, nous serons invités. Une farine de manioc bouillie avec de l’eau et du lait caillé. Par politesse, j’en ai repris par 3 fois, ce qui était largement suffisant car le goût, lui, m’est resté une bonne partie de la journée.

 

Mais voila qu’Aurora nous rejoint et nous invite à la suivre. Et rapidement, là, devant nous, tout s’éclaire. Un arbre, des pierres décrivant un large cercle dans le sable... L’église! Eglise qui de fait est pourvue d’une entrée, là, entre ces deux pierres. Les hommes passent à gauche et les femmes à droite. Quant aux brindilles qu’Aurora avaient plantées dans le cercle... eh bien pour deux d’entre elles, c’était nous !

Aujourd’hui l’église ne semble pas faire salle comble. Une dizaine de ‘fidèles’ à peine. Une femme s’avance. Debout, nous tournant le dos, elle implore. D’abord d’un ton posé, puis à genoux, criant, les larmes dans la voix. J’avoue avoir eu un peu de mal à contenir mon émotion.

Et pendant la prière... on se couvre les yeux d’une main. Et voila! Ceci expliquant cela.

 

Un peu plus tard, une Himba sort un vieux livre d’un sac en plastique. La bible en Herero (la langue des Himbas)! Ne sachant ni lire ni écrire, ils vont demander à Daniela de leur lire un passage. Daniela, cherchant les intonations adéquates, s’applique du mieux qu’elle peut. Nos amis se sont regroupés autour du livre, tantôt acquiesçant d’un signe de la tête, tantôt répétant la phrase lue. C’est alors qu’ils vont nous demander si l’on peut réciter une prière dans notre langue (ça c’est Daniela qui l’a compris parce que moi j’en étais toujours au stade de me demander ce qu’ils me voulaient).

Ah, une prière... Daniela s’exécute. Je ne comprends pas l’Allemand mais cela ne m’a pas empêché de discerner quelques hésitations et autres trous de mémoire. Mais voila mon tour. Je me lance dans un ‘Je vous salue Marie’... pour rapidement constater que, moi non plus, je ne me souviens plus de la fin. Mais bon, tant que ça se termine par Amen tout le monde est content et, après une bonne poignée de main, chacun peut retourner vaquer à ses occupations.

 

Nous avions parcouru plus de 250km de piste avant de nous arrêter dans ce village. Une piste difficile, à travers le Kaokoland, dans le nord-ouest de la Namibie. Tantôt sableuse, tantôt rocailleuse, elle nous a emmenés pendant une semaine pour plus de 400km à travers des paysages somptueux! Des paysages qui, je crois, laisseront des sensations à tout jamais gravées dans nos mémoires.

Seulement voila, pour ce voyage il nous fallait des réserves en eau, essence et nourriture. Nous emportions jusqu’a 37 litres d’eau et plus de 60 litres d’essence. Plus de 120kg de bagages... Autant dire que ma suspension arrière n’a pas tenu le coup.

 

Un détour qui en valait la peine. Des souvenirs qui n’ont pas de prix.

J’aurais pu vous raconter ma gamelle à moto dans le sable ou notre discussion quant à savoir où planter la tente, un soir, en bordure de piste, pour éviter le passage des éléphants du désert qui suivent les lits des rivières. Mais ça, ce sera pour les petites histoires de retour ‘à la maison’.

 

L’Angola nous attend...